Déterminisme, religion, et fanatismes.



 
 

        Croire en Dieu, s'est adhérer à une forme bien précise de déterminisme prima faciae : le déterminisme religieux. C'est croire, par exemple, que lorsque nous ne parvenons plus à fournir d'explications rationnelles sur les causes objectives d'un phénomène, il nous reste toujours cette forme de causalisme qu'est la religion. Or, si la Science a véritablement une valeur objective, rien ne nous permet d'être certains, à priori, qu'un jour elle aura atteint un degré d'aboutissement et de pouvoir d'explication tels, que son causalisme pourra entièrement se substituer au causalisme religieux. De ce fait, déterminisme religieux et indéterminisme scientifique semblent définitivement se tourner le dos...tout en étant complémentaires, puisque, comme nous l'avons dit, lorsque l'un est jugé insuffisant, nous pouvons toujours avoir recours à l'autre.

        Mais une autre conséquence du déterminisme prima faciae et absolu, est de croire, qu'une doctrine peut être suffisamment vérifiée (certainement vérifiée) pour nous permettre de justifier le recours à la violence dès lors que des résistances jugées "hérétiques" s'opposent au dogme, qu'il soit religieux ou d'une autre nature. L'Histoire regorge d'exemples confirmant ce point de vue, et pour ma part, je ne connais aucun exemple réfutant la théorie selon laquelle : "tous les fanatismes ont recours à la violence pour combattre ce qu'ils considèrent comme des hérésies".

        Je pense que chacun est libre d'avoir son propre dogmatisme, et j'estime même qu'une certaine forme de dogmatisme est indispensable, comme l'explique Popper, lorsqu'il est nécessaire que nous défendions nos théories préférées de fausses réfutations, ou de réfutations qui paraissent concluantes de prime abord mais qui peuvent se révéler insuffisantes parce que non reproductibles. Une certaine forme de dogmatisme est donc nécessaire pour permettre la recherche de la Vérité, il repose sur la croyance. Mais il ne peut faire bon ménage avec le fanatisme si c'est la quête d'une vérité objective qui est notre but ultime, notre "inaccessible étoile", parce que le fanatisme n'accepte aucune réfutation, même efficace de ce qui fonde sa croyance : on est fanatique de quelque chose parce que l'on croit que rien ne pourra jamais ébranler les fondements de cette croyance et l'on fait tout pour que cette situation perdure. Mais lorsque les réfutations ne peuvent être ignorées des fanatiques eux-mêmes, tellement elles sont caricaturales, il leur reste l'obscurantisme, arme plus sophistiquée que la force brutale, mais tout aussi néfaste.

      Le but de ce lien est de conforter l'idée que les fanatismes et leurs conséquences ne sont pas unilatéraux en matière de religion, je veux dire qu'ils ne concernent pas uniquement l'Islam ou même l'histoire de l'Islam. Si la religion islamiste a poussé certains de ses fondamentalistes (les wahabistes par exemple) aux crimes les plus spectaculaires en écrivant tout récemment une page noire dans leur histoire, les chrétiens sont peut-être les premiers à avoir péché dans ce domaine, et sont, de ce fait, mal placés pour jeter la première pierre. Par conséquent, les deux énoncés universels : "tous les islamistes sont mauvais", et, "tous les chrétiens sont bons", sont d'ores et déjà réfutés (ils le sont depuis longtemps) et de toute façon invérifiables...

        Ecrivant cela, j'oppose l'Islam tout entier au chritianisme, ce qui entraîne la question suivante : les attentats contre les Etats-Unis sont-ils une vengeance de l'Islam contre le christianisme, une vengeance de l'outrage fait par les troupes américaines, de séjourner en Arabie Saoudite (par exemple), la Terre Sainte des islamistes, ou sont-ils une punition justifiée ? Je pense qu'aucune vengeance n'est justifiable par la violence, mais aussi qu'aucune vengeance n'est justifiable autrement que par la colère ou la haine. Les attentats contre les Etats-Unis restent donc des crimes odieux, ils ne peuvent, de par leur nature, être considérés comme des punitions justifiées des possibles agissements odieux des Etats-Unis par le passé car la loi du talion ne peut être un but pour le genre humain tout entier. Notre responsabilité d'êtres humains (mais cette responsabilité a telle seulement un contenu ?) devrait être d'éradiquer la violence et la loi du talion. Les attentats  méritent donc une punition (pas une vengeance), car il est légitime de punir les crimes commis, même si, hélas, personne n'a encore osé punir les crimes que les Etats-Unis ont pu commettre par le biais de leur C.I.A. (dans les pays d'Amérique Latine par exemple, en soutenant les manoeuvres de déstabilisation des démocraties en place au profit de dictatures militaires). La guerre punitive entreprise contre les Talibans me semble pourtant être le mauvais choix ou en tout cas un choix très risqué : nous avons pris le risque de perpétuer les représailles de ceux qui amalgament vengeance et punition, de ceux qui ne pratiquent que la loi du talion (les fanatiques). Je pense que l'alternative est simple : ou bien réussir à décourager définitivement toute entreprise terroriste, tout désir de vengeance terroriste futur en n'éliminant par la force que le fanatisme, ce qui est utopique étant donnée la diversité des croyances et des fanatismes en ce monde, donc une erreur, ou bien faire machine arrière en reconnaissant certaines erreurs et en s'engagant le plus rapidement possible dans la voie du dialogue, de la diplomatie pour tenter de mettre un terme à cette loi du talion pratiquée au plan international afin, notamment, d'isoler le fanatisme islamiste, de le couper, comme une branche pourrie, de la grande tradition islamiste avec laquelle il est encore possible de discuter. Mais là encore, les partisans de la guerre répondront que c'est utopique à long terme : le terrorisme survivra toujours, il y aura d'autres attentats malgré la diplomatie, et que le meilleur moyen de "couper la branche pourrie" c'est encore la guerre. Ils diront aussi que c'est utopique de vouloir éliminer la loi du talion au niveau international, et que l'homme étant ce qu'il a toujours été (violent ou rationnel), tenter de relativiser cette loi aux yeux de leurs éventuels protagonistes par l'usage du dialogue est déjà un échec si le passage à l'acte violent a déjà eu lieu, et une illusion face au peu de poids des arguments de la Raison, chez la plupart des gens, contre ceux de la colère ou de la haine.

        L'Occident n'a pas à imposer sa loi à la Terre entière. Notre monothéïsme ne peut être le phare religieux éclairant le monde. L'Islam tout comme le Christianisme a le droit de faire sa propre promotion pacifique. Le monde est, et a toujours été pluriel.  Si certains considèrent que ce pluralisme ne peut être la raison d'être de notre monde ou lui donner son sens, il demeure pourtant sa réalité historique indiscutable tout comme il est indiscutable que si nous devons chercher un sens à la Vie c'est dans son pluralisme de fait et non dans son illusoire unicité. La seule solution de paix est donc que l'Orient et l'Occident, le Christianisme et l'Islam parviennent à cohabiter. Il existe trop de différences entres les géographies, entres les cultures, entre les croyances et les histoires, tout cela favorisant l'émergence ou le maintien de ces différences, pour rêver d'un ordre mondial régit par une seule religion, un seul Dieu pour tous. En conséquence l'ambition religieuse hégémonique doit toujours être examinée d'un point de vue critique pour être réfutée, qu'il s'agisse d'une ambition de source chrétienne ou islamiste. C'est aux chrétiens et aux islamistes, chacun de leur côté de garder une vigilance critique sur leur tradition pour qu'elle n'aspire jamais à l'hégémonie religieuse et à ses conséquences : le rejet des autres religions, puis la violence.

        Notre dernier argument repose enfin sur ceci : si nous renonçons à la voie de la diplomatie (la discussion), si nous refusons d'assumer son fardeau et ses difficultés, alors c'est bien Hegel qui avait raison : "les états sont par rapport aux autres dans un état de nature" (c'est la jungle ! Et justifions toutes nos actions en fonction d'un tel constat),et, "l'histoire est le tribunal du Monde!" (dans la loi du talion, c'est la raison du plus fort qui triomphera et dictera ce qui est bien ou ce qui est  mal).
 
 

Patrice VAN DEN REYSEN
 


La page noire du christianisme


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