Une discussion avec
   Pierre-Henri Castel* , 
     sur quelques problèmes
   épistémologiques relatifs à la critique d'Adolf Grünbaum
   au sujet de la théorie des rêves de Freud.
     *(psychanalyste,
membre    de l'ALI (Association Lacanienne Internationale), chargé
de recherches    au CNRS (Philosophie des sciences, IHPST-Université
Paris 1) et chercheur  associé au CESAMES (Centre de Recherche Psychotropes,
Santé   mentale et Société, CNRS-Université de
Paris 5)    
      
Chers internautes, par ce bref échange avec Pierre-Henri Castel, on peut s'apercevoir qu'il est possible de discuter sans langue de bois avec certains psychanalystes qui ont le courage intellectuel d'affronter les critiques. Nos critiques se basent sur un texte remarquable de Pierre-Henri Castel intitulé : "le rêve de Freud est-il un cauchemar théorique ? Réponse à deux objections d'Adolf Grünbaum." Nous invitons le lecteur de cette page à d'abord lire l'article que vous trouverez sur son non moins remarquable site dont l'adresse est : http://pierrehenri.castel.free.fr/.
Courrier de Patrice Van Den Reysen, du 28/01/2005 à 10 h 28
Monsieur, 
       
       
J'ai d'abord parcouru votre très
   intéressant mais difficile article intitulé : "Le rêve
   de Freud est-il un cauchemard théorique ? Réponse à
  deux objections d'Adolf Grünbaum". Je commence maintenant une lecture
  détaillée et attentive de votre article, que je n'ai pas
terminé,   et, l'une de vos phrases, qui touche particulièrement
à mes   centres d'intérêt sur la critique de la psychanalyse
m'interpelle.   Vous écrivez que, je vous cite : " 
     Soit, pour commencer, la thèse
  1. A. Grünbaum décortique le court exemple freudien en 3 prémisses,
   qu'il réfute successivement. La rêveuse, une des plus "spirituelles"
   (4) de toutes ses patientes hystériques, rêve le lendemain
 du jour où Freud lui a expliqué que le rêve accomplit
 un désir qu'elle part à la campagne avec sa belle-mère,
   alors qu'elle avait tout fait pour l'éviter. Selon A. Grünbaum,
   on peut en déduire que Freud croit: 
     1. Que ce contenu manifeste contredit
  de façon flagrante sa théorie du rêve; 
     2. Qu'on peut en déduire que 
 le  rêve est causé par le désir que Freud ait tort;
   
     3. Que ce motif de désir est 
 la  cause du contenu des images oniriques du rêve de la nuit. 
 
     Ces trois prémisses lui paraissent
   extravagantes. J'opposerai pourtant point par point à la réfutation
   proposée la contre-réfutation qui convient. 
     Réfutation 1. Elle est en
fait   double. Vu que pour Freud les désirs sont ambivalents, rien
n'exclut   logiquement que le contenu manifeste du rêve ne satisfasse
un désir   d'accompagner la belle-mère,(...)" 
     Ce qui m'interpelle c'est, après
   avoir exposé les trois déductions possibles de Grünbaum,
   la précision suivante : "(...)Vu que pour Freud les désirs
  sont ambivalents, rien n'exclut logiquement que le contenu manifeste du
rêve  ne satisfasse un désir d'accompagner la belle-mère,(...)"
   
     Si, comme je le souligne, et comme
 vous  le dites,  rien ne peut être logiquement exclu par la théorie 
  des désirs ambivalents de Freud, n'est-on pas, alors, en droit d'affirmer 
  que cette théorie des désirs ambivalents est irréfutable 
  et n'a qu'un pouvoir pseudo-explicatif ? Je me permets de vous renvoyer 
au  livre de Grünbaum que vous critiquez et qui s'intitule "La psychanalyse 
  à l'épreuve", pages 15, 16 et 17 (Je vous remercie, au passage, 
  pour le lien que vous avez fait vers mon site, et qui, vu votre niveau de
  réflexion et d'argumentation, me flatte certainement). J'ai essayé 
  de m'attaquer aux arguments de Grünbaum contre ceux de Popper au sujet 
  de la falsifiabilité de la psychanalyse, et je crois avoir démontré, 
  que Grünbaum n'a pas compris que Popper considérait les explications 
  données par les psychanalystes comme étant de pseudo-explications, 
  puisque comme le démontre, avec raison Grünbaum, une théorie 
  qui prétend fournir de véritables explications, doit logiquement 
  exclure certains faits, car comme n'a cessé de le marteler Popper 
 (à la suite d'Einstein) : "une théorie qui explique tout, en
 fait, n'explique rien du tout". (http://vdrp.chez.tiscali.fr/Popper_Grunbaum.html).
   
     Comme vous le voyez, ma question
concerne,   ici, uniquement la falsifiabilité de la théorie
des désirs   de Freud, que je crois irréfutable, puisque cette
théorie ne  me semble pouvoir logiquement exclure aucun type de désirs
qui pourrait  la contredire. Si vous le souhaitez, j'attends donc vos arguments 
sur ce qui pourrait être une mauvaise compréhension de ma part 
de la théorie de l'ambivalence en rapport avec l'irréfutabilité, 
  ou même de l'irréfutabilité, puisque je peux concéder 
  que vous avez nettement plus d'expérience et de connaissances que 
 moi en philosophie des sciences. Mais, je le répète, une théorie 
 qui peut englober, dans un même temps, la chose et son contraire, comme
 par exemple la théorie : "tous les désirs ont à la
fois,   pour chacun d'entre eux,  les  propriétés 
"X" et  "non-X", ne me semble pas pouvoir être réfutée 
si l'on  ne peut déduire aucun énoncé de base contradictoire.
   
     Comme vous l'avez peut être 
remarqué   en parcourant les autres textes de mon site,  je conteste 
également   la réfutabilité de la théorie de l'inconscient
associée   à celle du refoulement, telle que Freud l'a conçue,
c'est-à-dire,   nécessairement fondée par un postulat
qui me semble intenable   (pour des raisons "poppériennes"), à
savoir, le postulat d'un   déterminisme psychique prima faciae et
absolu (http://vdrp.chez.tiscali.fr/Determinisme2.html).   Mais, par ailleurs 
j'ai été convaincu que Popper, comme le  démontre Grünbaum, 
a eu tort, de laisser supposer que la psychanalyse  était entièrement 
irréfutable. 
Puisque je vous tiens, personnellement, pour un psychanalyste éclairé, et honnêtement critique sur les faiblesses de la théorie de Freud, recevez, cher Monsieur, mes plus cordiales salutations.
Patrice Van Den Reysen. 
       
       
       
Réponse de Pierre-Henri CASEL
   
       
Le 29/01/2005 à 16 h 15 :
Je crois qu'il y a un simple malentendu,
   à deux niveaux. 
     1) J'écris: 
     Réfutation 1. Elle est en
fait   double. Vu que pour Freud les désirs sont ambivalents, rien
n'exclut   logiquement que le contenu manifeste du rêve ne satisfasse
un désir   d'accompagner la belle-mère, désir dont rien
aux yeux d'A.  Grünbaum ne prouve d'ailleurs l'existence, mais qui n'est
pas exclu dans le tableau qui nous est fait du rêve. 
     Je m'explique: on ne comprend pas 
pourquoi   Grünbaum dit ici que le contenu manifeste du rêve dément
   la thèse de Freud, puisqu'il est d'accord pour accepter à
 titre d'hypothèse que les désirs sont ambivalents. S'il accepte
 cette hypothèse (qu'il ne discute pas ici), alors, logiquement, il
 ne devrait pas dire que le rêve ne peut logiquement manifester un
désir   d'aller voir la belle-mère. Je dois dire qu'ici, c'est
même  assez intuitif: la patiente ne pense qu'à ça, même
en  rêve, et donc ça la travaille, sur le mode de ne surtout
pas  vouloir de ce désir. Comme je l'explique très en détail 
 ailleurs, c'est un critère d'identification du désir freudien 
 que de s'attacher à ces désirs que nous ne voulons pas avoir, 
 aux "désirs indésirables" (par exemple, sexuels, et contraires 
 à nos idéaux moraux). 
     2) La thèse de Popper, que 
vous   connaissez manifestement mieux que moi, porte sur l'usage d'un argument 
dont  les prémisses seraient logiquement telles qu'on ne puisse la 
falsifier  empiriquement. Mais il ne s'agit nullement ici de cela. Il ne s'agit
pas d'un argument, mais d'un concept. Or, il semble qu'il fasse spécifiquement 
  partie du concept de désir qu'on puisse désirer soit une chose
  et son contraire, soit même des objets dont il est analytiquement 
impossible  qu'on les obtienne. C'est bien pourquoi on le reproche à 
quelqu'un,  s'il veut le beurre, l'argent du beurre, et le sourire de la crémière,
 ou s'il veut à la fois et au même moment les avantages du mariage
 et ceux de la vie de célibataire. Nul ne conteste que ces états
 mentaux sont irrationnels, mais nul ne conteste non plus qu'ils existent.
 
     En conséquence, on peut parfaitement
   attaquer Freud sur l'usage qu'il ferait dans un argument de la notion
d'ambivalence    (entendue grossièrement comme un désir qui
veut du bien et   du mal au même objet), si cet argument n'exclut pas
logiquement certains    faits, mais pas l'attaquer sur le concept d'ambivalence
comme une dimension    habituelle de certains désirs, notamment sexuels,
concept qui peut    être le concept d'une contradiction interne propre
au désir   (qui fait d'ailleurs qu'on le juge très classiquement
irrationnel).    
     Dans l'affaire présente, le
 rêve  de démentir par le rêve la théorie de Freud
 se complique  d'une autre dimension, c'est que Grünbaum néglige
 qu'il s'agit  d'une patiente particulièrement "witzig", que ce qu'elle
 dit du rêve  est donc justement un trait d'esprit adressé.
Autrement  dit, elle fait usage de son interprétation de son rêve
pour témoigner  d'un désir particulier à l'égard
de Freud, dans le transfert.  Mais l'hypothèse globale de Freud se
poursuit bien au-delà:  il explique qu'il ne devrait pas y avoir justement
de rêve uniquement  "pour le transfert". Et de fait, le même
rêve s'avère avoir un contenu encore différent, et témoigner
de désirs distincts, que la patiente aurait dit-il préféré
ne pas s'avouer, et par ricochet, ne pas avouer à Freud; d'où 
 son interprétation de son propre rêve comme contraire à 
 la théorie de Freud, au moment même où ce dont elle ne
 veut pas, c'est que cette théorie s'applique à des désirs 
 inavouables autrement plus profonds. 
     Que penser de cette complication?
   
     J'avoue que je ne sais pas bien.
   
     Ma tendance est de lire ces choses
 non  comme des arguments en faveur d'une étiologie causale du rêve
   par des désirs, mais comme des descriptions conceptualisantes très
   étendues. Ainsi, il n'y a pas d'enchaînements déductifs
   paradoxaux, mais l'explicitation des différentes strates internes
  contradictoires qui caractérisent un désir. C'est sans doute
  la raison pour laquelle nous pouvons à la fois créditer Freud
  d'une certaine plausibilité psychologique (on comprend ce qu'il
veut   dire, ce n'est pas une salade de mots), tout en lui reprochant de
faire passer  pour des "mécanismes" psychologiques de nature hypothético-déductives
   des systèmes imbriqués de motivations contradictoires et
donc  irrationnelles. 
     Je vous signale d'autre part que
la  logique  de la déduction exploitée par Popper est formellement 
 très  réduite, et délibérément simpliste. 
 On peut parfaitement  utiliser des systèmes déductifs non-standards 
 (avec des sémantiques  associées à base de mondes possibles) 
 pour réduire certaines  aberrations apparentes. Par non-standard, 
j'entends des systèmes déductifs  où on supprime l'axiome 
(si j'ose dire) "ex falso sequitur quodlibet",  ce qui permet de formaliser 
le traitement des énoncés contre-factuels.  
     Si Verdi et Bizet avaient été
   compatriotes (F), alors (implication standard)... les poules auraient
des    dents (F), 2+2= 4, (V) etc. 
     Mais dans les logiques de la fiction,
  par exemple, on peut avoir: 
     Si Verdi et Bizet avaient été
   compatriotes (F), alors (implication non-standard)... ils auraient été
   tous les deux français, ou (disjonction stricte) ils auraient été
   tous les deux italiens. 
     Tout le problème est de savoir
  comment déterminer le caractère de vérité du
 conséquent (car il est assez intuitif de dire que ces conséquents
 ont "plus de vérité" que des énoncés entièrement
 éloignés). En général, on explique que dans
l'implication  non-standard des logiques de la fiction, les mondes possibles
ne sont pas  tous indifféremment accessibles à partir de la
prémisse  fausse. 
     Voilà qui un grand intérêt
   pour capter certaines étrangetés, et pour délimiter
  de façon plus rusée que par le simple principe de contradiction
   associée à l'implication standard l'espace "des faits qui
 sont ou non exclus". Dans les affaires psychologiques (fiction, croyances,
 désirs, intentions), une logique non-standard de l'implication est
 évidemment plus naturelle, plus conforme à nos intuitions,
que la version standard liée au raisonnement physico-mathématique.
 
     Mais c'est pure spéculation.
   
     A vous, 
     Pierre-Henri Castel 
       
Réponse de Patrice Van Den 
  Reysen du 30/01/2005 à 14 h 47 : 
       
Bonjour, 
       
Tout d'abord, merci pour votre réponse argumentée, mais, si je puis dire, "les choses se confirment" : vous avez indiscutablement un niveau de d'analyse et de réflexion sur ces problèmes qui dépasse le mien (je le pense sincèrement). Mais, que voulez-vous, vous abordez des problèmes qui touchent directement ou indirectement à l'épistémolgie de Popper, et ça, ça m'interesse ! Alors, loin de prétendre férailler avec vous, je ne peux m'empêcher d'essayer de contre-argumenter avec les connaissances et le niveau d'analyse dont je dispose. Mais, bien sûr j'accepte par avance, toutes les remarques et critiques sur les erreurs, le manque de précision ou de rigueur dont je pourrais faire preuve.
Je reprends certains de vos propos
:  
     "(...)La thèse de Popper,
(...),   porte sur l'usage d'un argument dont les prémisses seraient
logiquement   telles qu'on ne puisse la falsifier empiriquement. Mais il
ne s'agit nullement   ici de cela. Il ne s'agit pas d'un argument, mais d'un
concept. Or, il semble   qu'il fasse spécifiquement partie du concept
de désir qu'on   puisse désirer soit une chose et son contraire,
soit même des   objets dont il est analytiquement impossible qu'on
les obtienne. C'est bien   pourquoi on le reproche à quelqu'un, s'il
veut le beurre, l'argent   du beurre, et le sourire de la crémière,
ou s'il veut à   la fois et au même moment les avantages du
mariage et ceux de la vie   de célibataire. Nul ne conteste que ces
états mentaux sont  irrationnels, mais nul ne conteste non plus qu'ils
existent. 
     En conséquence, on peut parfaitement
   attaquer Freud sur l'usage qu'il ferait dans un argument de la notion
d'ambivalence    (entendue grossièrement comme un désir qui
veut du bien et   du mal au même objet), si cet argument n'exclut pas
logiquement certains    faits, mais pas l'attaquer sur le concept d'ambivalence
comme une dimension    habituelle de certains désirs, notamment sexuels,
concept qui peut    être le concept d'une contradiction interne propre
au désir   (qui fait d'ailleurs qu'on le juge très classiquement
irrationnel)."
      
     1°) Le fait de "vouloir le beurre,
   l'argent du beurre, et, etc." ne me semble pas contradictoire en soi,
mais    cela n'est qu'un point de détail. Par contre, comme vous l'écrivez,
   un désir ambivalent qui veut un bien "X" et en même temps
un  mal "non-X" est impossible. 
     2°) Vous dites, avec raison,
que   :  "la thèse de Popper,(...) porte sur l'usage d'un argument
 dont les prémisses seraient logiquement telles qu'on ne puisse la
falsifier empiriquement., etc.. Mais je ne vois pas bien la différence
entre, d'une part, présenter une argumentation fallacieuse parce que
les relations logiques qui unissent les concepts les uns par rapport aux
autres est erronnée, ou que ces concepts eux-mêmes soient vides
de contenu, et, d'autre part,  les prémisses mêmes d'une
argumentation fallacieuse lesquelles  ne pourraient qu'être également 
  fallacieuses du fait de la défectuosité des concepts employés 
  à l'intérieur des prémisses ? En somme, il me semble 
  impossible à Freud, comme à tout autre personne, d'argumenter 
  sans concepts, en eux-mêmes logiquement valides. 
     3°) La question que je pose maintenant 
  est la suivante : est-il reéllement, c'est-à-dire empiriquement 
  possible d'avoir des désirs ambivalents (ou que " le concept d'une 
  contradiction interne propre au désir" soit viable) comme par exemple 
  avoir l'unique désir de vivre et de mourrir dans la même seconde, 
  la même émotion, la même représentation, que sais-je
  encore ? Puis-je vouloir, en même temps, désirer saisir un
objet  et m'en éloigner ? Il ne me semble pas possible de désirer 
 avaler le contenu d'un liquide tout en le recrachant en même temps 
! (Sur cette question, il serait sans doute intéressant d'interroger 
 les neurosciences). Cela ne peut être que deux désirs distincts 
 et contradictoires l'un par rapport à l'autre, impossibles à 
 "vivre" dans le même instant. Lorsque Freud parle d'ambivalence, ou 
 de contradiction interne propre au désir,  je crois qu'il ne 
peut donc s'agir que de plusieurs désirs contradictoires (mais non 
"auto-contradictoires" en eux-mêmes pris séparemment) qui se 
succèdent les uns par rapport aux autres dans le temps lors de leur 
apparition, et qui entretiennent entre eux certaines relations logiques, mais,
je le concède qui peuvent, par la suite, exister en même temps
; ne disons-nous jamais : "entre les deux mon coeur balance ?". La notion
de temps me paraît ici essentielle pour comprendre l'ambivalence freudienne
(?) sans doute en relation avec la notion de "train de pensée" et
"energie psychique" dont Freud  parle à certains moments.  
En conséquence, je ne pense pas qu'il soit possible d'utiliser le concept
de désirs ambivalents autrement  que comme l'argument d'une succession
de désirs ambivalents et contradictoires dans le but de pouvoir répondre
à toutes les objections sur la théorie du refoulement inconscient
et de pouvoir toujours interpréter les phénomènes les
plus contradictoires chez une personne selon les mêmes et uniques causes
qui pourraient être, à l'endroit de la psychanalyse, des causes
psycho-sexuelles. Je persiste donc à croire que la théorie
des désirs ambivalents n'est pas à comprendre comme un concept
mais comme un argument, puisqu'il ne peut exister un désir qui soit
à la fois l'expression d'un fait ou d'une action et la négation
de ce même fait ou de cette action !  
     En bref, la locution : "contradiction
  interne propre au désir", ou, ce qui revient au même, "concept
  de désirs ambivalents" ne me semble pas correcte : on ne peut parler
  de concept qu'au singulier, pour renvoyer, par exemple aux propriétés
  logique d'un concept ou d'un terme universel. Il faut donc, selon moi,
parler   de : "concept de désir ambivalent", mais là, on se
rend compte   qu'il ne peut exister de concept de cette nature sinon les
termes universels   seraient aussi tous auto-contradictoires. 
     Il ne peut donc y avoir, chez Freud,
  de "concept de désirs ambivalents", qui soit valide, mais seulement
  l'usage de cette locution comme d'un stratagème immunisateur permettant
  d'argumenter en faveur de la vérifiabilité de la théorie
  du refoulement inconscient et de l'inconscient : si l'interprétation
  d'un phénomène décrit par Freud semble réfutée
  par certains faits, avec la théorie de l'ambivalence telle que Freud
  l'utilise, il est toujours possible de modifier l'interprétation
tout  en sauvegardant  les théories qui la soutiennent.
     Conclusion sur ce point :
     Il est logiquement impossible (et 
sans   doute empiriquement) qu'il y ai des désirs auto-contradictoires 
ou   une contradiction interne propre à chaque désir : un désir
   qui serait en même temps sa propre négation n'est rien du
tout  et ne peux exister dans le réel il ne peut rien refléter
d'empirique.  Selon moi la struture logique d'un désir qui serait
auto-contradictoire,  est identique à celle de la proposition suivante
: "un cygne est, en même temps, ou bien blanc ou bien non-blanc !",
c'est-à-dire  absurde. 
Vous écrivez ensuite que :
   
     "Je vous signale d'autre part que 
la  logique de la déduction exploitée par Popper est formellement
  très réduite, et délibérément simpliste.
  On peut parfaitement utiliser des systèmes déductifs non-standards
  (avec des sémantiques associées à base de mondes possibles)
  pour réduire certaines aberrations apparentes. Par non-standard,
j'entends  des systèmes déductifs où on supprime l'axiome
(si j'ose  dire) "ex falso sequitur quodlibet", ce qui permet de formaliser
le traitement  des énoncés contre-factuels.  
     Si Verdi et Bizet avaient été
   compatriotes (F), alors (implication standard)... les poules auraient
des    dents (F), 2+2= 4, (V) etc. 
     Mais dans les logiques de la fiction,
  par exemple, on peut avoir: 
     Si Verdi et Bizet avaient été
   compatriotes (F), alors (implication non-standard)... ils auraient été
   tous les deux français, ou (disjonction stricte) ils auraient été
   tous les deux italiens. 
     Tout le problème est de savoir
  comment déterminer le caractère de vérité du
 conséquent (car il est assez intuitif de dire que ces conséquents
 ont "plus de vérité" que des énoncés entièrement
 éloignés). En général, on explique que dans
l'implication  non-standard des logiques de la fiction, les mondes possibles
ne sont pas  tous indifféremment accessibles à partir de la
prémisse  fausse." 
1°) Si je vous ai  bien compris, 
  lorsque vous parlez de "la logique de la déduction exploitée
   par Popper(...)", vous vous réferrez, par rapport à mon
argumentation    sur la falsifiabilité, au fait que pour pouvoir évaluer
ou   tester le contenu de vérité d'une théorie, il faut
pouvoir  déduire un énoncé contradictoire appelé
"falsificateur  virtuel", lequel si il est confirmé par le biais d'une
hypothèse  falsifiante, réfuterait la théorie initialement
testée  ? Mais, alors, dans votre premier exemple d'implication standard,
la proposition  "les poules auraient des dents" ne fait absolument pas partie
des falsificateurs  potentiels de l'hypothèse sur la nationalité
commune ou non  de Verdi et Bizet, de plus, et pour répondre à
votre argument  sur le caractère prétendument simpliste de
la logique de déduction  de Popper des énoncés de base,
je vous prie de prendre en compte  que selon Popper, il ne suffit pas que
les scientifiques aient réussi  à déduire un énoncé
de base d'une théorie  à tester, il faut encore que cet énoncé
soit reconnu  comme falsificateur potentiel et fasse partie de ce que Popper
nomme les "énoncés de base acceptés". (Je vous renvoie
à "La logique de la découverte scientifique" de Popper). Par
conséquent je ne pense pas que la première partie de votre
exemple implique logiquement la deuxième, à savoir que "les
poules auraient des dents"....??? Mais j'avoue avoir encore des doutes sur
la compréhension de ce que vous voulez dire. 
     2°) Vous écrivez que : 
"Les   mondes possibles ne sont pas tous indifféremment possibles à
  partir de la prémisse fausse." Voulez-vous dire que ce n'est pas
par  la confirmation expérimentale d'un énoncé contradictoire
  ou "contre-factuel" (?) que l'on peut, à tout coup, évaluer
  le contenu de vérité d'un énoncé général
  ? Là, je ne suis pas d'accord. Dans votre deuxième exemple
 sur la nationalité de Verdi et de Bizet, comment progresserait notre
 savoir si nous ne pouvons que conclure que Bizet et Verdi auraient été
  compatriotes, donc, ou bien italien, ou bien français, ou bien japonnais,
  ou bien allemands, ou bien la nationalité X ? Comme on s'en aperçoit,
  la seule méthode pour tester l'hypothèse historique sur la
 nationalité de Verdi et Bizet serait peut-être de commencer
par corroborer l'hypothèse falsifiante que Verdi ET Bizet n'étaient
 pas italiens mais français en trouvant des preuves empiriques à
 base, par exemple, de documents administratifs de leur époque. A
la  suite de ce test on apprendrait peut-être que Verdi et Bizet 
n'étaient pas français et ainsi de suite jusqu'à trouver
la vraie nationalité ! Mais bon, j'ai la curieuse sensation que je
n'ai rien compris à tout ce que vous avez dit. Aussi, et s'il vous
lasse de me l'expliquer je ne vous en voudrais pas, je manque sans aucun
doute de connaissances en philosophie  des sciences, sur lesquelles, outre
Popper et Lakatos que j'ai lus, je serais  ignorant. A moi, donc, de me cultiver
! 
Cordialement. 
       
Patrice Van Den Reysen. 
       
       
       
Réponse de Pierre-Henri CASTEL, le 30/01/2005 à 19 h 42 :
Comme je le craignais et l'espérais
   en même temps (on ne se refait pas!) votre réponse rend le
 problème encore plus difficile. Cursivement, je vois des choses à
 clarifier, d'autres avec lesquelles je ne suis pas d'accord, mais aussi
des  objections auxquelles je n'ai pas de réponse disponible. Je n'avais
 simplement pas vu les choses comme vous les voyez. 
     Il me faut donc du temps pour digérer
   tout cela. 
     Je tâcherai de vous répondre
   dans des délais acceptables. 
     Cordialement, 
Ce que vous dites est tout à
   fait problématique et intéressant. 
     C'est assurément une très
   grave difficulté que la question de savoir si un désir peut
   comporter un contradiction "interne", en un sens intelligible. Je comparerai
   la dispute à celle qui porte, e philosophie de l'esprit (dont je
 m'inspire dans mes écrits) à d'autres formes d'irrationalité
 et des ennuis qu'on rencontre, quand on veut faire une description rationnelle
   de l'irrationnel. Ainsi, la question de la mauvaise foi (ou de la self-deception,
   comme on dit dans la littérature anglophone): est-ce que je peux
 réellement croire quelque chose que je ne crois pas vraiment? SI
on  cherche à répondre à ce genre de problème,
ou  à celui de l'akrasia, ou du wishful thinking, qui lui sont liés,
 Davidson a bien montré qu'on se retrouve obligé de postuler
 des "divisions" de l'esprit, qu'il a d'ailleurs comparé conceptuellement
 avec celles de Freud. Mais l'argument contre Davidson (et déjà
 contre Sartre), c'est qu'il n'existe pas vraiment d'états comme la
 mauvaise foi, ou l'akrasia. Il y a juste du mensonge, ou de la lâcheté.
   
     Ce que vous dites, c'est donc, d'abord,
   que l'intuition à mes yeux fondamentale (que je cherche à
 conceptualiser sous la forme du désir avec une contradiction interne
 essentielle) n'existe pas. On peut avoir deux désirs, chacun univoques,
 et une contradiction entre ces désirs, c'est tout. 
     Mais je suis frappé que l'illustration
   que vous choisissez évoque précisément un symptôme
   psychopathologique connu: le mérycisme, qui consiste à rester
   entre la déglutition et l'expulsion du bol alimentaire, et qui
est    constamment corrélé à un trouble relationnel
profond,    chez le petit enfant, avec la personne nourricière. Alors,
bien sûr,  physiquement, on a une "oscillation" entre deux processus
qui dans la nature  sont opposés. Mais psychologiquement (et c'est
peut-être une  propriété intrinsèque du concept
psychologique de désir),  on peut décrire la situation comme
un conflit où la volonté  d'avaler est contrebattue par un
désir de recracher-remâcher   qui lui est si étroitement
articulé, qu'il ne s'agit que d'un   seul et même problème
psychique. Je ne me cache pas la difficulté;   mais il me semble que
la solidarité proprement mentale des deux phases   de l'oscillation
(qui constitue, intuitivement, un seul symptôme, pas  la complication
d'un symptôme d'avalement par un symptôme de recrachage, si j'ose
dire), cette solidarité suppose quelque chose  comme une contradiction
interne du désir. 
     Je pense que la conflictualité
  dans la sphère morale peut servir de réserves d'intuitions
 pour comprendre de quoi il s'agit dans les symptômes de ce genre (par
 exemple, ceux de la névrose obsessionnelle). 
     Je pense aussi que les exemples traditionnels 
  de symptômes musculaires hystériques sont assez parlants à 
  cet égard (quand on les a distingué des lésions neurologiques 
  où, par exemple, la paralysie résulte de la contraction simultanée 
  des muscles agonistes). 
     C'est un autre problème, de
 fait,  de savoir si "vouloir l'impossible" s'exprime sous la forme logique
 d'une  contradiction in adjecto. C'est aussi un vieux problème (déjà
   Kant, dans l'essai sur les grandeurs négatives). Mon exemple de
la  crémière ne vaut, bien sûr, que s'il est compris
qu'on  a ou l'argent ou le beurre, pas les deux, au sens d'une disjonction
classique.  Il est alors trivial de reformuler la disjonction sous la forme
d'une négation  sur une conjonction, etc. 
     Mais vous paraissez dire autre chose,
  qui est moins formel ou verbal (c'est le deuxième point de vos observations):
   "qu'il ne peut exister un désir qui soit à la fois l'expression
   d'un fait ou d'une action et la négation de ce même fait
ou   de cette action". Et si Freud y a recours, c'est encore sous la forme
d'un   argument fallacieux, qui permet de recourir à cette ambivalence
structurale   (conceptuelle) d'un désir pour exciper à chaque
de deux interprétations   logiquement incompatibles, par lesquelles
il échappe au réquisit   de falsifiabilité poppérienne.
     Je pense vous avoir dit pourquoi
je  ne  suis pas sûr du tout que l'existence psychique du phénomène
   soit une chimère. Au contraire! Mais bien plus, je soutiens qu'une
   logique qui ne serait pas capable d'en rendre compte ne serait pas une
norme  de disqualification de ce genre de faits, mais plutôt une démonstration
   de son propre incapacité théorique. Car nous choisissons
et  révisons les axiomes de notre rationalité en fonction de
leur  adéquation à des données informelles préalables.
   C'était le sens de mon observation sur la logique non-standard
de   la fiction: si vous niez l'intuition selon laquelle "Si Bizet et Verdi
étaient   compatriotes, ils seraient tous les deux Italiens (ou Français)" 
est  plus acceptable que ""Si Bizet et Verdi étaient compatriotes, 
ils seraient tous les deux Hongrois", alors évidemment, l'affaire est
pliée. Je préfère ce recours à la Hongrie, puisque
celui aux poules avec des dents vous semble extravagants. Et en plus, cela
ressemble un peu davantage à un falsificateur potentiel, bien que
la question soit ici totalement hors-sujet. Je ne veux me concentrer que
sur la partie "logique" de l'intuition en débat. 
     Ici, il ne s'agit donc plus, pour 
faire   la différence, de l'acceptabilité empirique, mais de 
l'acceptabilité   formelle, ou mieux, de la validité sémantique 
intrinsèque   d'expressions que j'appelle "désir à contradictions 
internes".   
     Je passe sur le fait que ce à
  quoi vous comparer ma formule (les cygnes blancs et non-blancs) et précisément
   ce que j'exclus: il ne s'agit justement pas d'énoncés constatifs,
   mais d'énoncés optatifs. Il ne s'agit pas non plus de savoir
   si on peut désirer que le même objet soit à la fois
 bon et mauvais, mais de savoir si on peut à la fois à la fois
 désirer et détester le même objet. Il est exact que
ces  deux manières de dire sont souvent convertibles ("C'est une traînée,
 mais j'en suis fou!"). Mais je crois que personne ne s'aventurerait à
 imputer à une propriété contradictoire constatée
 de l'objet, les remous contrariants de son propre désir, sauf de
manière   rhétorique, et comme une expression de la passion
(pas comme une description  de la passion). Le désir produit à
foison des oxymores: "C'est  une folle merveilleuse", "un démon séducteur", 
etc. Est-ce que cela n'est pas acceptable au titre de l'ambivalence structurelle 
du désir  (j'en veux et je n'en veux pas, je n'en veux pas et je le 
désire malgré moi)? Je trouve que si. Mais à la condition 
impérative de respecter ces nuances de grammaire logique. 
     D'autre part, le fait "qu'il ne peut
  exister un désir qui soit à la fois l'expression d'un fait
 ou d'une action et la négation de ce même fait ou de cette
action",   selon vos mots, devrait, à mon opinion, se dire, "qu'il
ne peut exister   rationnellement un désir qui soit à la fois
l'expression d'un   fait ou d'une action et la négation de ce même
fait ou de cette   action". Par exemple, si on devait quantifier sur des
désirs dans  un calcul bayésien, on parlerait de "préférences", 
testées   empiriquement par des conduites (en général 
d'achat, comme  chez Tversky et Kahnemann, après Hayek). Les préférences
   sont réduites par des conduites positives univoques. Mais si justement,
   il s'agit de décrire l'irrationalité de la conduite (et
n'est-ce    pas une dimension du désir qu'il faut sauver?), alors
je crois qu'on    peut avoir recours, qu'on ne peut même qu'avoir recours
à cette  contradiction. 
     Considérons ensuite ce que 
Freud   fait de l'ambivalence (un mot équivoque, parce que je ne veux 
pas  dire qu'il s'agit de la double valence logique VF). Quand il y a recours, 
  est-ce qu'il est toujours possible de modifier certains faits ad hoc pour 
  sauver n'importe quelle interprétation? Je ne connais pas d'exemple 
  de cette manoeuvre dans Freud. Dans le cas spécial du rêve 
étudié  par Grünbaum, si on le lit en entier, on voit clairement
que Freud a  au contraire voulu mettre en valeur un montage psychologique 
que je trouve  plausible (vous l'admettriez au théâtre, dans 
Marivaux, par exemple) où la patiente a) ne veut pas reconnaître 
qu'elle éprouve  un certain désir, b) "mais" ne veut pas reconnaître 
que le chemin  pour reconnaître que ce désir existe passe par 
la reconnaissance  qu'elle ne veut surtout pas de ce désir, lequel 
néanmoins insiste  et la coince dans ses contradictions, c) ne veut 
pas "donc" reconnaître  à Freud l'autorité intellectuelle 
requise pour lui démontrer  que ce mécanisme même, qui 
est le fond de sa théorie du rêve, s'applique justement à 
elle. Il me semble que l'enchaînement  motivationnel abc est peut-être 
une explication intentionnelle fragile,  ce n'est qu'un ensemble coordonnée 
de raisons révisables, mais  que ce n'est pas un enchaînement 
irrationnel, d'une part, et d'autre  part, que l'ambivalence du concept de 
désir est cantonnée au  concept de désir, et qu'elle 
ne déborde pas sur la mise en fonction logique de ce concept au sein 
de l'argument. C'est pourquoi, par exemple, je pense qu'on peut conserver 
le concept de désir ambivalent en ce sens, et produire une autre explication 
motivationnelle de l'articulation  abc. Le critère pour décider 
si cette autre explication non-freudienne  est meilleure (par exemple par 
un biais attributif) reposera en dernière  analyse sur la plausibilité 
des meilleures raisons intégratives  des facteurs pertinents. 
     Je trouve que cet échange
(que   je vais devoir interrompre, pardonnez-moi) révèle très
   bien la grande difficulté des explications sur la théorie
 de Freud: pour une part, ce sont les intuitions de base, sur ce qui se passe 
  dans la vie psychique, qui ne sont pas congruentes (vous ne trouvez pas 
de  sens réel à l'ambivalence); pour une autre part, et c'est 
la  raison pour laquelle je ne sépare pas l'épistémologie
   de la médecine mentale et son histoire, il faut avoir à
l'idée    les questions précises, de neurologie, de psychiatrie
non-freudienne    (pré-freudienne), et toutes les explications alternatives
(par l'hypnose,    la suggestion, les anomalies cérébrales,
etc.)  des mêmes  "phénomènes" bizarres décrits
indépendamment   de la psychanalyse, qui sont sa toile de fond. une
théorie "abstraite"    de l'ambivalence sans concurrence de paradigmes
pour décrire, déjà,    puis expliquer, ensuite, tel
rituel obsessionnel ou tel vécu d'acte    manqué, cela ne vaut
pas grand-chose. 
     Mais c'est tout à fait ce
qui   fait la différence entre la contribution freudienne à
la clinique   mentale et la généralisation d'un paradigme interprétatif
   freudien à toutes les productions de l'esprit en général.
   Vous savez où je plante ma tente. 
     Cordialement, 
     Pierre-Henri Castel 
       
       
       
Réponse de Patrice Van Den 
  Reysen du 01/02/2005 à 21 H 17 : 
       
Monsieur, 
       
Je vous remercie pour cet échange, qui fut sans langue de bois et fructueux, en tout cas pour moi.
Cordialement. 
       
Patrice Van Den Reysen.
http://vdrp.chez.tiscali.fr/